Le blog de Elena la soumise

 Qu’est-ce qu’écrire ? Pourquoi écrire ? Pour qui écrire ?

A voir le nombre de blogs et de livres qui chaque année paraissent, on pourrait croire que les raisons d’écrire ne manque pas. Au contraire, elle nous jette dans une sorte d’angoisse. On craint de devenir un de ces parasites, un de ces bavards inutiles. On se demande si la peine qu’on se donne sera efficace, si la lecture cette intimité pathétique que tout écrivain tente d’établir avec chacun de ces lecteurs ne va pas être vaine.

 

Alors vient la question : Pourquoi écrire ? Pour qui écrire ?

 

J’avoue n’être pas trop troublée par ces questions. J’écris simplement pour les mêmes raisons pour lesquelles je vie. Dommage que cette envie d’écrire ne suffise pas pour qu’on écrive de vrais, de grands livres. Le poème de Verlaine me revient en tête :

 

Que ton vers soit la bonne aventure

Eparse au vent crispé du latin,

Qui va fleurant la menthe et le thym,

Et tout le reste est littérature.

 

Hélas il n’y a pas de « bonne aventure » quand on écrit. Ou la bonne aventure ne dure qu’un matin, mais un blog c’est bien des jours et bien des semaines, une longue besogne.

 

Parfois une personne de génie paraît. Elle est, elle, tout de suite maître en la matière. Elle sais tout ce qu’on peut savoir. Elle se moque des poétiques, des rhétoriques. Elle sent seulement ce qu’elle a à dire. Elle voit se qui jamais encore n’a été vu, elle entend ce qui jamais n’a été entendu, mais il semble qu’elle écrive et qu’elle parle comme on a toujours écrit, comme on a toujours parlé. Sa rhétorique est la rhétorique éternelle. Elle lui soumet toutes les prétendues nouveautés. Elle s’empare de toutes les petites découvertes des travailleurs de mots, ses confrères, comme un fleuve absorbe tous les ruisseaux. Cinquante ans, cent ans, tous ceux qui ne savent qu’imiter ou qui n’ont rien à dire écriront d’après lui. L’esprit de son œuvre oriente un temps toutes les recherches. Et puis on en saisi plus que la manière. Il est temps que paraisse un nouveau génie qui redonne sa force à la parole humaine.

 

Tout comme un vrai livre, un vrai blog est ces deux choses contradictoires : Un témoignage et un jeu. Ecrire cela peut être crier ce qu’on a à dire, sans souci de l’arrangement des mots. Ce peut être aussi, tout au contraire, mettre en ordre des mots et tenir à cet ordre, à cet arrangement, à tel point qu’on en oublie ce que l’on voulait dire. Entre le cri trop naïf et la vocalise trop habile, l’écrivain cherche la parole vraie. La vérité est dans cet intervalle, mais il a de la peine à s’y tenir. Trop ému par sa propre voix, il est déjà surpris que l’on ne trouve pas de la beauté au premier mot qu’il profère.

 

La part du jeu et la part du témoignage varient selon les œuvres, mais ni l’une ni l’autre ne saurait jamais suffire. Un témoignage pâteux, lourd sans art, si sincère qu’il soit, n’est qu’un document. Dans les chefs d’œuvre, le jeu même met en valeur le témoignage. Un écrivain n’est pas d’abord un joueur. Il est d’abord témoin, non pas Un mage, comme le lui fait croire, quelquefois une exaltation orgueilleuse, mais un témoin.

 

Rien de mystérieux comme cette sorte de délégation qui fait d’un homme la conscience et la voix des hommes de son pays et de son temps. Il n’a dit que quelques paroles, et tout de suite, il se reconnaissent en lui, pensent en lui, avec lui. Ah ! toute la rhétorique apprise ne lui assurerait pas ce prestige. C’est une certaine inflexion de sa voix accordée, on ne sait comment, à notre propre voix, à ce qu’il y a aujourd’hui en nous de ferveur ou de désespoir, de courage ou de lâcheté, d’intelligence ou de sottise. En ce qui concerne la littérature française j’ai découvert à chaque fois avec un bonheur unique l’inflexion de la voix de Barrès, l’inflexion de la voix de Gide. Il y a aujourd’hui la voix de Malraux, la voix de Sartre, la voix de Camus moins justement, moins constamment accordées à tous peut-être, à cause de notre confusion et de notre inconscience. Autre temps, autre voix.

 

La vanité de l’écrivain, ainsi voué au témoignage, le persuade quelquefois qu’il est autre que nous, qu’il doit s’appliquer à être autre, mais ses écrits ne cessent de lui trouver des semblables, et sa vanité changeant alors de tour, il s’en console. Bon gré, mal gré, il témoigne. Cette voix qu’il a et qui éveille tant d’échos n’est que le signe de sa présence au monde, à son monde, à son temps. Il est d’innombrables gens de lettres, mais il n’est que peu de véritables écrivains, et ce son ces témoignages volontaires ou involontaires. Tous les gens de lettres, je pense, même s’ils s’en défendent, sont candidats au témoignage, et ; s’ils s’affectent de le mépriser c’est qu’ils n’y sont pas parvenus. Le plus grand nombre d’entre eux s’égare par les jeux de la rhétorique, de la plus vieille ou de la plus nouvelle. Ils continuent d’écrire des livres aux odeurs de livres d’avant-hier ou pensent écrire des blogs d’après-demain. Ils peuvent cependant avoir une certaine reconnaissance car une partie du public peut aimer le trop vieux par habitude ou le trop neuf par snobisme. Le public veut qu’on le distraie, veut des amuseurs, lit par divertissement, pour « passer le temps » comme il dit, quand ce n’est pas pour oublier.

Mais les vrais écrivains n’écrivent pas seulement pour nous divertir. C’est leur plaisir mais aussi leur passion d’assister au travail du monde, ce travail est en train toujours, et depuis toujours c’est la même angoisse. Mais tout, cependant, change à tous les instants, et c’est leur volonté et cela devient leur privilège de reconnaître tous ces changements. Ce qui est à dire aujourd’hui  est là autour d’eux comme une mer. Et il ne sont pas si sots, ils savent bien que c’est depuis toujours la même mer à traverser, la même mer, autour des mêmes rochers. Mais on n’a jamais fini de regarder les risées courir sur la mer, et il est sur la mer bien des chemins. Des questions sont éparses comme une poussière dans l’air du temps. L’écrivain est celui-là qui sait les reconnaître et les définir. A tort ou à droit, il croit aux mots, et qu’une bonne définition serait déjà presque une solution et que l’angoisse des hommes finirait s’il pouvait seulement l’exprimer. Les lecteurs qu’ils espère sont tous ceux-là qui, comme lui-même, ont décidé de vivre aujourd’hui, embarqués sur le même vaisseau pour tenter une fois de plus de traverser la mer. Les vrais livres, tous répondent ainsi, de quelque manière, à ces questions d’un temps. C’est l’effet d’une grâce, bien plus que de leur volonté, pour ceux qui les ont écrits.

 

Hugo disait : "Le siècle est la barre et je suis son témoin."

 

Ven 11 avr 2008 Aucun commentaire