Le blog de Elena la soumise

Il n’avait de sens que si l’humanité, à défaut des hommes en particulier, gardait mémoire d’elle-même et durait autant que l’airaIn ! Mais quoi, s’il n’est pas même sûr que les hommes à venir aient encore nos oreilles ? Une œuvre pour toujours (Thucydide), Comment l’homme s’éternise (Dante), Je ne mourrai pas tout entier (Horace)…toutes ces antiques formules dans toutes les langues, ces orgueilleuses ambitions proclamées perdent tout sens, dès lors que l’homme change si vite qu’il semble qu’il perde toute mémoire. Il n’est en littérature posthume la notion d’une certaine constance de l’homme, qu’il se souviennent autant qu’il espère. Elle est tradition et engagement. Mais le pari sur l’avenir est désormais hasardeux. J.-P. Sartre se veut « engagé » mais ne conçoit l’engagement qu’a court terme. Il veux tout gagner dans cette vie même ou tout perdre. On ne conçoit guère des artistes d’aujourd’hui disputant, comme Diderot et Falconet, sur la gloire. Rien de si démodé qu’elle. A des gens pressés comme nous sommes, le succès suffit. Mais nous ne gagnons pas tout peut-être à être désormais si modestes. Pascal avait raison de se moquer : « Que de royaumes nous ignorent !» disait-il au fanfarons. Et certes le désir de la gloire est ridicule quand il n’est que désir de s’enfler et de paraître. Mais le même Pascal remarquait aussi qu’il n’est pas de plus noble besoin que ce besoin de « l’estime des hommes »

 

Il semble parfois que le monde soit en suspens. Les hommes les plus savants et les plus réfléchis expliquent qu’on ne peut plus savoir ce que c’est que l’homme. Que la vie est absurde, ce fut toujours un propos assez banal. La nouveauté est qu’on s’applique à la démontrer. Heureusement on n’entend pas dire que la Volga, le matin en charrie plus de cadavres ! Des écrivain écrivent des thèses pour l’établir. Des peintres assurent qu’il n’est pas d’objet et se refusent à peindre un univers qu’ils jugent n’exister pas. Des musiciens méprisent les harmonies naturelles et accumulent les faux accords. Des romanciers, après leur avoir soigneusement crevé les yeux, s’étonnent que leurs personnages soient aveugles. Les poètes chantent qu’ils ne sont plus au monde. C’est l’effet de tous nos malheurs. Ce qui rassure, c’est que toutes ces parades de l’absurde sont l’occasion d’une assez plaisante foire aux vanités. L a vanité tient bon, et donc l’homme, esprit et corps autour d’elle.

Le vrai est peut-être que nous sommes depuis un certain temps un peu débordés par les responsabilités que nous créé ce monde même que nous avons fait. Le passé, mieux connu, est devenu si profond et si complexe, l’avenir si aventureux, et si imprévisible que nous  nous laissons enfermer dans un présent à qui nous demandons seulement d’être divertissant. Nous pensons nous débarrasser en criant à l’absurde. Nous devons désormais à « tous les hommes » ce que nous avons cru longtemps devoir à Dieu, mais « tous les hommes » font un créancier bien plus exigeant que Dieu. Le « jugement dernier » dont on nous menaçait n’était qu’un lointain épouvantail par comparaison à ces instances tout humaines que sont les guerres et la révolutions. L’ humanité peut devenir un terrible dieu. Elle tend à vivre comme un grand corps unique et cohérent et à ressentir tout entière les blessures de chacun de ses membres. Pas plus que nous ne comprenons notre corps, tout ce système cellules innombrables si intimement associées que la maladie d’une seule d’entre elles peut déterminer notre mort, nous ne pouvons comprendre ce système nouveau ce connexions où nous sommes pris, cet être monstrueux à l’interieur duquel nous ne sommes nous-mêmes qu’une cellule encore vivace ou déjà pourrissante. Mais il dépend de nous que cette participation inévitable ou nous détruise ou nous augmente. Jamais la vie humaine n’aura été ni plus pleine ni plus forte que dans ce monde où les hommes savent enfin qu’ils sont seuls les sauveurs des hommes.

Lun 14 avr 2008 Aucun commentaire