Vendredi 9 mai 5 09 /05 /Mai 09:54

On veut être entendue, écoutée.

On commence généralement par imiter, sans s’en rendre compte, et le plus souvent par la poésie qui semble parole plus pure et plus secrète. J’ai su par cœur, pour ma part, beaucoup de poèmes, de Verlaine et d’Henri de Régnier.

 

C’est bien la pire peine

De ne savoir pourquoi

Sans amour et sans haine

Mon cœur a tant de peine.

 

Ou bien :

 

En allant vers la ville où chante aux terrasses

Sous les arbres en fleurs comme des bouquets de fiancées…

 

Et je les imitais sans scrupule ; tantôt Verlaine : j’écrivais rien que pour moi, mais bien sûr avec espoir secret qu’un jour on la découvre, ma propre « chanson bien sage » et veillais bien à ce que les vers en soient un peu hésitant et boiteux, par totale soumission à son « art poétique » ; tantôt Henri de Régnier, et j’alignais, sans retenue, des vers libres éloquents et sonores dans lesquels je me promettais la conquête du monde…C’est une difficile affaire de trouver sa propre voix.

Un hasard me fit rencontrer Tacha. C’est son exemple sans doute qui me décida à écrire pour les autres et qui fait que je sois là aujourd’hui. C’est une femme d’une générosité rayonnante. Elle m’a révélé que la vie pouvait être gracieuse, intelligente et bonne. Tacha avait idée de faire un livre sur la jalousie. Alors j’ai souhaité devenir sa secrétaire. Grâce à elle j’ai tout lu, à la bibliothèque nationale, de ce qu’on savait de nouveau sur le sujet. J’ai lu consciencieusement toutes sortes de traités, de monographies savantes physiologiques et psychologiques, mais vainement et je crains de ne pas avoir été d’un grand service. Je pensais, quant à moi, un peu naïvement, qu’il n’y avait plus grand-chose à dire sur le sujet après Phèdre que j’admirais. Au reste, elle fini par y renoncer, mais elle m’avait aidé à vivre et j’avais vu de près ce que c’est qu’écrire. Ses notes étaient comme des plaidoiries. Elle faisait et fait encore souvent scandale. Elle écrit comme on livre un combat et par le seul souci du bien public. Elle me donna des conseils, des consignes, et m’inventa un nouveau jeux. Je devais tout les soirs au diner faire une conférence sur ce que je voulais, sur tout sur rien, mais occuper mon esprit, m’obliger à construire et à parler français. C’est une assez dure épreuve de parler à celle que l’on aime qui ne veut pas voir mais qui est prête à tout attendre. On sent une effrayante obligation. Elle m’a à plusieurs reprise suggéré d’écrire une roman, j’en avais le titre : l’interdite. Je n’en fus jamais capable.

C’est affaire d’imagination. Je regrette souvent, d’être si raisonnable, jamais un peu folle et de ne pas s’avoir m’amuser. Je me dis souvent qu’on devrait ouvrir des écoles d’imagination. J’ai peut être tort : ce n’est que la raison qui peut mettre l’ordre dans le monde, et je suis cartésienne de tout moi-même, mais parfois je souhaite que la raison ne soit jamais dure et sèche, ni trop courte, qu’elle se détende quelquefois et s’éclaire de fantaisie, comme il arrive dans Montaigne, Voltaire, ou Nabokov. Je suis une idéologue mais j’aime que les idées aient toujours leur aigrette de feu et qu’on sente en elles le frémissement de ce « long désir » dont parle Valery. Le vrai est que l’imagination pour les gens de mon age, pour les vieux, ne valent plus rien quand elles les enferment en eux-même. Je manque sûrement d’imagination. Je ne veux pas parler de cette folle du logis qui, tournée vers nous mêmes, nous égare et nous remplit d’illusions. Je pense à l’imagination qui, tournée vers le monde, nous rend plus sensibles à la vie des autres. C’est l’imagination des romanciers. J e ne cesse de donner la parole à d’autres, a Michlet, à Rousseau, à Voltaire, à Tolstoï. Je crois trouver en eux tout l’homme, tous sont destin. Même ici sur mon blog, il m’arrive de trouver que je ne crois pas en moi-même. Il est des offenses, des humiliations dont il semble qu’on ne puisse guérir. Quand on a senti très fort dans son enfance, un instant mais plusieurs fois répété, l’humilité de ce qu’on est alors on a de la peine à se redresser tout à fait, comme un roseau qui aurait trop longtemps plié. « Le roseau plie mais ne rompt pas », il est vrai, mais il n’est pas resté la même tige droite toute tendue vers le ciel. Si j’avais à recommencer, je ne serais plus cette petite fille aussi polie et sage, et je ferais en sorte d’apparaître davantage comme une femme dans tout son honneur et sa liberté, ne plus subir cette différence sexuelle, marque comme je le fis jadis.

 

Je remarque qu’une excessive humilité convient sûrement mal à un écrivain. Le plus grand nombre d’entre eux ne passe pas pour en être infligé. On leur attribue plutôt de la vanité, mais elle leur est sans doute bien nécessaire. Ceux qui la leur reprochent n’imagine pas ce qu’est le combat avec la page blanche. Il faut, dès le départ, pour seulement commencer, de la confiance en soi, pour continuer de l’entêtement, pour gagner enfin, de l’amour propre et du courage. C’est beaucoup d’audace que de prétendre affronter des lecteurs qui, à première vue, ne semble pas être particulièrement indulgents, et par comble, de les vouloir plus nombreux possible. Il y a une grande conviction intérieure, une sûreté un peu orgueilleuse. Les gens aiment être médusés. Si vous éditez un blog où vous aurez tout mis de vous-même, ne soyez donc pas trop modestes, ne dites pas trop de mal de vous. L es gens auraient trop de plaisir à vous croire et à n’accorder aucun intérêt à vos écrits. Ce n’est pas votre seule personne qui est en cause quand vous éditez un blog. C’est tout l’effort que vous avez fait pour aller au delà de vous même, à la rencontre des autres et sentir et reconnaître la condition commune. C’est la pensée. Gardez-lui donc toute sa fierté.

 

On peut se perdre aussi, il est vrai, par la vanité. La « foire sur la place » est assez triste spectacle. Il est peu d’activité qui, autant que celui d’artiste ou écrivain, mettent et montre le moi d’un homme et à l’épreuve son amour-propre. Quand tout se voit, se joue publiquement, comment accepter de n’être jamais au premier rang ? On veut valoir plus que tout les autres. Le succès fait de vous une femme public sur qui tout le monde à des yeux. Il en peut résulter , surtout entre des écrivains des jalousies et des rivalités qu’on imagine pas…

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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