Cogito: Ma réflexion en cours

Vendredi 11 avril 5 11 /04 /Avr 11:06

J’ai décidé de réaliser cette réflexion sans support et sans limite de temps. C’est donc tous les jours que vous découvrirez un petit bout de  mon analyse.

Bonne lecture à vous et n’oubliez pas de poster votre propre analyse dans la rubrique " Vos écrits sur Qu’est-ce qu’écrire ? Pourquoi écrire ? Pour qui écrire ?"

 

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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Vendredi 11 avril 5 11 /04 /Avr 11:07

 Qu’est-ce qu’écrire ? Pourquoi écrire ? Pour qui écrire ?

A voir le nombre de blogs et de livres qui chaque année paraissent, on pourrait croire que les raisons d’écrire ne manque pas. Au contraire, elle nous jette dans une sorte d’angoisse. On craint de devenir un de ces parasites, un de ces bavards inutiles. On se demande si la peine qu’on se donne sera efficace, si la lecture cette intimité pathétique que tout écrivain tente d’établir avec chacun de ces lecteurs ne va pas être vaine.

 

Alors vient la question : Pourquoi écrire ? Pour qui écrire ?

 

J’avoue n’être pas trop troublée par ces questions. J’écris simplement pour les mêmes raisons pour lesquelles je vie. Dommage que cette envie d’écrire ne suffise pas pour qu’on écrive de vrais, de grands livres. Le poème de Verlaine me revient en tête :

 

Que ton vers soit la bonne aventure

Eparse au vent crispé du latin,

Qui va fleurant la menthe et le thym,

Et tout le reste est littérature.

 

Hélas il n’y a pas de « bonne aventure » quand on écrit. Ou la bonne aventure ne dure qu’un matin, mais un blog c’est bien des jours et bien des semaines, une longue besogne.

 

Parfois une personne de génie paraît. Elle est, elle, tout de suite maître en la matière. Elle sais tout ce qu’on peut savoir. Elle se moque des poétiques, des rhétoriques. Elle sent seulement ce qu’elle a à dire. Elle voit se qui jamais encore n’a été vu, elle entend ce qui jamais n’a été entendu, mais il semble qu’elle écrive et qu’elle parle comme on a toujours écrit, comme on a toujours parlé. Sa rhétorique est la rhétorique éternelle. Elle lui soumet toutes les prétendues nouveautés. Elle s’empare de toutes les petites découvertes des travailleurs de mots, ses confrères, comme un fleuve absorbe tous les ruisseaux. Cinquante ans, cent ans, tous ceux qui ne savent qu’imiter ou qui n’ont rien à dire écriront d’après lui. L’esprit de son œuvre oriente un temps toutes les recherches. Et puis on en saisi plus que la manière. Il est temps que paraisse un nouveau génie qui redonne sa force à la parole humaine.

 

Tout comme un vrai livre, un vrai blog est ces deux choses contradictoires : Un témoignage et un jeu. Ecrire cela peut être crier ce qu’on a à dire, sans souci de l’arrangement des mots. Ce peut être aussi, tout au contraire, mettre en ordre des mots et tenir à cet ordre, à cet arrangement, à tel point qu’on en oublie ce que l’on voulait dire. Entre le cri trop naïf et la vocalise trop habile, l’écrivain cherche la parole vraie. La vérité est dans cet intervalle, mais il a de la peine à s’y tenir. Trop ému par sa propre voix, il est déjà surpris que l’on ne trouve pas de la beauté au premier mot qu’il profère.

 

La part du jeu et la part du témoignage varient selon les œuvres, mais ni l’une ni l’autre ne saurait jamais suffire. Un témoignage pâteux, lourd sans art, si sincère qu’il soit, n’est qu’un document. Dans les chefs d’œuvre, le jeu même met en valeur le témoignage. Un écrivain n’est pas d’abord un joueur. Il est d’abord témoin, non pas Un mage, comme le lui fait croire, quelquefois une exaltation orgueilleuse, mais un témoin.

 

Rien de mystérieux comme cette sorte de délégation qui fait d’un homme la conscience et la voix des hommes de son pays et de son temps. Il n’a dit que quelques paroles, et tout de suite, il se reconnaissent en lui, pensent en lui, avec lui. Ah ! toute la rhétorique apprise ne lui assurerait pas ce prestige. C’est une certaine inflexion de sa voix accordée, on ne sait comment, à notre propre voix, à ce qu’il y a aujourd’hui en nous de ferveur ou de désespoir, de courage ou de lâcheté, d’intelligence ou de sottise. En ce qui concerne la littérature française j’ai découvert à chaque fois avec un bonheur unique l’inflexion de la voix de Barrès, l’inflexion de la voix de Gide. Il y a aujourd’hui la voix de Malraux, la voix de Sartre, la voix de Camus moins justement, moins constamment accordées à tous peut-être, à cause de notre confusion et de notre inconscience. Autre temps, autre voix.

 

La vanité de l’écrivain, ainsi voué au témoignage, le persuade quelquefois qu’il est autre que nous, qu’il doit s’appliquer à être autre, mais ses écrits ne cessent de lui trouver des semblables, et sa vanité changeant alors de tour, il s’en console. Bon gré, mal gré, il témoigne. Cette voix qu’il a et qui éveille tant d’échos n’est que le signe de sa présence au monde, à son monde, à son temps. Il est d’innombrables gens de lettres, mais il n’est que peu de véritables écrivains, et ce son ces témoignages volontaires ou involontaires. Tous les gens de lettres, je pense, même s’ils s’en défendent, sont candidats au témoignage, et ; s’ils s’affectent de le mépriser c’est qu’ils n’y sont pas parvenus. Le plus grand nombre d’entre eux s’égare par les jeux de la rhétorique, de la plus vieille ou de la plus nouvelle. Ils continuent d’écrire des livres aux odeurs de livres d’avant-hier ou pensent écrire des blogs d’après-demain. Ils peuvent cependant avoir une certaine reconnaissance car une partie du public peut aimer le trop vieux par habitude ou le trop neuf par snobisme. Le public veut qu’on le distraie, veut des amuseurs, lit par divertissement, pour « passer le temps » comme il dit, quand ce n’est pas pour oublier.

Mais les vrais écrivains n’écrivent pas seulement pour nous divertir. C’est leur plaisir mais aussi leur passion d’assister au travail du monde, ce travail est en train toujours, et depuis toujours c’est la même angoisse. Mais tout, cependant, change à tous les instants, et c’est leur volonté et cela devient leur privilège de reconnaître tous ces changements. Ce qui est à dire aujourd’hui  est là autour d’eux comme une mer. Et il ne sont pas si sots, ils savent bien que c’est depuis toujours la même mer à traverser, la même mer, autour des mêmes rochers. Mais on n’a jamais fini de regarder les risées courir sur la mer, et il est sur la mer bien des chemins. Des questions sont éparses comme une poussière dans l’air du temps. L’écrivain est celui-là qui sait les reconnaître et les définir. A tort ou à droit, il croit aux mots, et qu’une bonne définition serait déjà presque une solution et que l’angoisse des hommes finirait s’il pouvait seulement l’exprimer. Les lecteurs qu’ils espère sont tous ceux-là qui, comme lui-même, ont décidé de vivre aujourd’hui, embarqués sur le même vaisseau pour tenter une fois de plus de traverser la mer. Les vrais livres, tous répondent ainsi, de quelque manière, à ces questions d’un temps. C’est l’effet d’une grâce, bien plus que de leur volonté, pour ceux qui les ont écrits.

 

Hugo disait : "Le siècle est la barre et je suis son témoin."

 

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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Samedi 12 avril 6 12 /04 /Avr 10:38

Cela se sent dès le premier mot qu’ils disent. C’est entre eux et nous une sorte de fraternité physique. Il respirent comme nous. Il défaillent comme nous. Nous reconnaissons en eux notre force comme notre faiblesse de cœur. Nous les aimons en dépit de nous-mêmes, et même si à ces questions qui sont l’orage de notre ciel, ils font une autre réponse que la nôtre. Ce qui importe, c’est de se sentir sous le même orage, et la qualité de l’angoisse nous unit bien davantage que la réponse par quoi nous affectons de nous en débarrasser.

 

Cet accord qu’il sent avec mille frères inconnus, il n’est pas sans doute de plus grande joie pour l’écrivain. Ce n’est pas la joie basse du succès, mais quelque chose d’infiniment plus profond. Le plaisir des autres doit lui être j’imagine, la garantie de sa propre authenticité. Il lui semble que sa respiration est la respiration même du monde. Comme Antée, lorsqu’il touchait la terre, il sent la force affluer en lui. Ne nous laissons pas tromper par les déclarations de ceux-là qui déclarent s’enchanter de leur solitude. Elle ne sont pas sincères. Ils espèrent  en dépit de tout. Ils se promettent l’avenir. C’est Stendhal, c’est Nietzsche. Il arrive que leur misère tourne à la folie. Nietzsche est mort convaincu qu’il était le témoin entre les témoins, le martyr entre les martyrs, un nouveau Crucifié.

Mais cet accord n’est jamais définitivement acquis ; il est toujours hasardeux, menacé et difficile à maintenir. C’est le drame de l’écrivain.

Il ne s’écrit rien de valable que par l’angoisse de la vérité. Le problème n’est pas de savoir pourquoi on écrit, mais à quelles conditions un écrivain demeure dans sa vérité. La rhétorique, la politique, le goût du succès, la mode, la gloire lui tendent bien des pièges et l’égarent. Rarement réussit-il à être constamment  lui-même, à ce qui, au départ, le contraignit d’écrire, sans qu’il s’en donnât de raisons.

 

Mais j’ai pris peut-être la question trop au sérieux. Le mot littérature dans les blogs couvre bien des activités différentes. Négligeons ce qui n’est que commerce, foire aux vanités. Ne pensons qu’a ces vrais artistes, à ces puissantes natures pour qui écrire est une sorte de jeu royal et qui, dès l’abord, ne leur pose pas tant de problèmes de conscience. Ils s’amusent et espèrent amuser. Voilà tout, et leurs jeux sont des jeux de dieux. L’art d’écrire n’est pas cette rationalisation sur soi à laquelle j’ai pu faire penser. Rien de ce qu’on écrit, certes, ne doit être coupé de soi-même. Il ne se résigne pas à soi. Ecrire, c’est bien plutôt pour lui se débarrasser de lui-même. Il écrit pour la vérité. Il s’efforce, il peine vers  le monde qu’il croyait peut-être d’abord naïvement posséder, et s’opère une transfiguration. Il se voit habité par la pensée des autres. Il s’oublie et devient les choses mêmes. Il respire dans quelque chose de bien plus vaste que lui-même. Sa voix n’a pas changé, mais, il ne sait comment, il lui semble qu’elle soit désormais accordée avec la voix de tout ce qui est et que la vie même du monde soit passée en lui. Si cela est vrai ou faux, ses lecteurs en jugeront.


Mais il n’est de chemin sur lequel on s’égare davantage que ce chemin de soi au monde. Un écrivain…c’est une des contradictions de sa condition…est à la fois le plus privé et le plus public des êtres. Rien, au départ, de plus secret, de plus intime, de plus propre, de plus volontairement séparé que sa méditation. Il rêve d’être unique et de produire une chose unique, sûr de ne valoir qu’à ce prix. Son blog paraît, et il arrive que brusquement il n’y ait pas d’homme plus regardé que lui. Comment ne pas frémir et ne pas changer sous tant de regards ? Voilà qu’il appartient à tout le monde. Le plus intime de lui est en vitrine sur internet. Il est comme dans une chambre aux miroirs qui lui renvoient cent reflets de lui-même. Comment ne remarquerait-il pas une telle image de lui semble aux autres plus séduisante. Et s’il réalise une nouvelle page, sera t’il pas tenté de faire en sorte que cette image, ce profil soient mieux en vue ? Incipit comoedia. C’est une lutte désormais entre sa vanité et son orgueil, entre son désir de plaire et sa volonté d’être soi. On commence par la sincérité ; on fini trop souvent par la manière.

Au bout du compte, les raisons qu’un véritable écrivain a d’écrire sont les raisons mêmes qu’il a de vivre et les valent. Mais qu’il prenne garde ; dans son cas tout se voit. S’il écrit, il écrit toujours comme il vit, ou quelquefois, quand il s’efforce comme il voudrait vivre. Son style est son être véritable et le trahit. Les graphologues, à ce qu’on dit, découvrent dans les pleins, les déliès  et toutes les grimaces de notre graphie, notre caractère, notre intelligence, notre cœur et, paraît-il jusqu’à nos maladies. Mais que ne révèlent pas d’un écrivain l’inflexion, le mouvement, les formes de son langage ? On le reconnaîtrait tout entier si on savait mieux le lire, l’écouter. Surtout on connaîtrait mieux son caractère profond. Rien n’est faux comme la critique dénigrante qui cherche les faiblesses de la vie d’un écrivain pour avilir son blog ou son message. Sa vraie vie, c’est son œuvre, ses écrits. Il sont ce qu’il a voulu. Tout le reste peut n’être que ce qu’il a subi. Il sont sa vie construite et repensée.

« Celui qui aujourd’hui ne se retire pas entièrement de ce bruit et ne se fait pas violence pour rester isolé est perdu. » GOETHE, entretiens avec Eckermann.

 

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours - Communauté : fgouteuse!
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Dimanche 13 avril 7 13 /04 /Avr 17:55

La même crise qui détruit l’homme, détruit son langage, ou du moins cette idée qu’il avait de le mettre en ordre et de lui donner la plus grande beauté possible. Un style est, comme une femme, un effort de soi sur soi, la volonté d’être ce qu’on est. Mais il n’est pas sûr que cela importe désormais à beaucoup de gens. Tout tend à faire de tous les mêmes robots. Que deviens la littérature ? Tout-le-monde lit ce que Tout-le-monde pourrait écrire. N’est-ce pas à peu près ce que disait Valéry ? C’est la plage de Miami. La cohue humaine trempe toute dans la même vulgarité. Jamais tant d’hommes n’ont su lire, jamais tant d’hommes n’ont tant lu. Magazine, Sélections, Digest…même il nous arrive de lire les plus grands chefs d’œuvre…en résumés, L’Iliade, L’Odyssée, Le Quichotte, Guerre et paix, Les Karamozov, réduits à des faits divers, à des scénarii, à des bandes dessinées. Mais combien de lecteurs pensent encore qu’ils sont comme des partenaires de l’écrivain qu’ils ont choisi de lire, qu’à un effort unique devrait répondre un effort unique, qu’ils sont responsables, qu’il dépend d’eux que les plus hauts désirs des hommes survivent, qu’ils sont les ouvriers de la tradition, qu’un grand livre n’est qu’une occasion et un moyen de se connaître et de se construire, et d’entrer par un jeu admirable, dans une grandeur et une beauté que de soi-même on n’eût jamais conçues ? Lire ne peut être qu’une grande joie difficile et solitaire. Mais peu de gens y songent. Il ne s’agit pour beaucoup, que de « passer le temps », un temps qui fait peur, et d’échapper à la pensée.

 

J’ai lu dernièrement sur Internet une interview de Romain Rolland où il dit : « On écrit d’abord pour soi et ensuite pour tous les hommes. » Pour soi, pour accomplir ce qu’on sent en soi comme la seule chose nécessaire. Et ensuite pour tous les hommes. Mais cela implique peut-être que l’écrivain se fasse une certaine idée de tous les hommes, qu’ils les croient semblables à lui-même. Il est seul, il le sait, il se veut seul, mais croit tous les hommes, comme lui capable de solitude, et, comme lui, impatients et insatisfaits. Un poème, un roman sont une invitation à un certain songe, à un certain dépassement. Rien qu’un beau vers peut suffire, s’il est suffisamment chargé de cette angoisse et de cette foi tout ensemble qu’au long des millénaires a résumé le mot d’humanité. C’est un certain tremblement à l’idée de tous les hommes pris ensemble, et aussi de chacun d’eux considéré séparément dans son destin, et la volonté de se tenir avec lui à un certain honneur entre acceptation et l’exigence, entre la dureté et la tendresse. Parlé-je ici un peu trop haut, entraîné par ma passion propre des vrais livres ? Pas de littérature sans une sorte de connivence entre l’écrivain et son futur lecteur. La parole la plus légère ne peut trouver son timbre et sa beauté qu’en volant pas les lèvres de tous les hommes. Longus n’eut point écrit Daphnis et Chloé s’il n’avait espéré que  « le conte en serait agréable à plusieurs manières de gens, pour ce qu’il peut servir le malade, consoler le dolent, remettre en mémoire de ses amours celui qui autrefois aura été amoureux et instruite celui qui autrefois aura été amoureux et instruire celui qui ne l’aura point été. Car jamais ne fut rien ni ne sera qui se puisse tenir d’aimer, tant qu’il y aura beauté au monde et que les yeux regarderont ». L’écrivain compte sur son lecteur non seulement pour reconnaître maîs pour achever sa pensée : tous deux sont dans la même chimère. Tous deux travaillent à devenir eux-mêmes. Mais on n’est pas sûr que ce soit longtemps encore l’idéal de beaucoup de gens. Le mot de Montaigne : « La plus grande chose du monde, c’est de savoir être soi » est peut-être le mot d’un monde en train de disparaître.


Nous ne sommes plus très assurés de demeurer nous-mêmes, et il est tel moment où nous n’imaginons pas sans frémir notre postérité, ces homoncules de laboratoire, cette humanité d’éprouvettes. Les appels des anciens poètes à ceux qui viendront, leurs cris : « Exegi monumentum aere perennius » ou si vous préféré en français : « J’ai achevé un monument plus solide que l’airain. » (Horace) sont en passe de devenir ridicules.

 

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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Lundi 14 avril 1 14 /04 /Avr 18:52

Il n’avait de sens que si l’humanité, à défaut des hommes en particulier, gardait mémoire d’elle-même et durait autant que l’airaIn ! Mais quoi, s’il n’est pas même sûr que les hommes à venir aient encore nos oreilles ? Une œuvre pour toujours (Thucydide), Comment l’homme s’éternise (Dante), Je ne mourrai pas tout entier (Horace)…toutes ces antiques formules dans toutes les langues, ces orgueilleuses ambitions proclamées perdent tout sens, dès lors que l’homme change si vite qu’il semble qu’il perde toute mémoire. Il n’est en littérature posthume la notion d’une certaine constance de l’homme, qu’il se souviennent autant qu’il espère. Elle est tradition et engagement. Mais le pari sur l’avenir est désormais hasardeux. J.-P. Sartre se veut « engagé » mais ne conçoit l’engagement qu’a court terme. Il veux tout gagner dans cette vie même ou tout perdre. On ne conçoit guère des artistes d’aujourd’hui disputant, comme Diderot et Falconet, sur la gloire. Rien de si démodé qu’elle. A des gens pressés comme nous sommes, le succès suffit. Mais nous ne gagnons pas tout peut-être à être désormais si modestes. Pascal avait raison de se moquer : « Que de royaumes nous ignorent !» disait-il au fanfarons. Et certes le désir de la gloire est ridicule quand il n’est que désir de s’enfler et de paraître. Mais le même Pascal remarquait aussi qu’il n’est pas de plus noble besoin que ce besoin de « l’estime des hommes »

 

Il semble parfois que le monde soit en suspens. Les hommes les plus savants et les plus réfléchis expliquent qu’on ne peut plus savoir ce que c’est que l’homme. Que la vie est absurde, ce fut toujours un propos assez banal. La nouveauté est qu’on s’applique à la démontrer. Heureusement on n’entend pas dire que la Volga, le matin en charrie plus de cadavres ! Des écrivain écrivent des thèses pour l’établir. Des peintres assurent qu’il n’est pas d’objet et se refusent à peindre un univers qu’ils jugent n’exister pas. Des musiciens méprisent les harmonies naturelles et accumulent les faux accords. Des romanciers, après leur avoir soigneusement crevé les yeux, s’étonnent que leurs personnages soient aveugles. Les poètes chantent qu’ils ne sont plus au monde. C’est l’effet de tous nos malheurs. Ce qui rassure, c’est que toutes ces parades de l’absurde sont l’occasion d’une assez plaisante foire aux vanités. L a vanité tient bon, et donc l’homme, esprit et corps autour d’elle.

Le vrai est peut-être que nous sommes depuis un certain temps un peu débordés par les responsabilités que nous créé ce monde même que nous avons fait. Le passé, mieux connu, est devenu si profond et si complexe, l’avenir si aventureux, et si imprévisible que nous  nous laissons enfermer dans un présent à qui nous demandons seulement d’être divertissant. Nous pensons nous débarrasser en criant à l’absurde. Nous devons désormais à « tous les hommes » ce que nous avons cru longtemps devoir à Dieu, mais « tous les hommes » font un créancier bien plus exigeant que Dieu. Le « jugement dernier » dont on nous menaçait n’était qu’un lointain épouvantail par comparaison à ces instances tout humaines que sont les guerres et la révolutions. L’ humanité peut devenir un terrible dieu. Elle tend à vivre comme un grand corps unique et cohérent et à ressentir tout entière les blessures de chacun de ses membres. Pas plus que nous ne comprenons notre corps, tout ce système cellules innombrables si intimement associées que la maladie d’une seule d’entre elles peut déterminer notre mort, nous ne pouvons comprendre ce système nouveau ce connexions où nous sommes pris, cet être monstrueux à l’interieur duquel nous ne sommes nous-mêmes qu’une cellule encore vivace ou déjà pourrissante. Mais il dépend de nous que cette participation inévitable ou nous détruise ou nous augmente. Jamais la vie humaine n’aura été ni plus pleine ni plus forte que dans ce monde où les hommes savent enfin qu’ils sont seuls les sauveurs des hommes.

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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Mardi 15 avril 2 15 /04 /Avr 10:07

La sottise ou l’orgueil m’ont fait quelquefois rêver de devenir je ne sais quelle libératrice, et j’ écrit avec passion quelques petits textes passionnées. Jusqu’à présent je n’ai libéré personne. Mais l’amour des hommes aussi me poussent. Que cela du moins me soit une excuse. Je ne veux que communiquer ma propre joie. Je n’en peut concevoir d’autre ni de plus grande. Je ne veux que partager le seul bien que je crois avoir acquis, la liberté. Si l’on n’en veux pas qu’y puis-je ? Saint-just promettait de se poignarder s’il découvrait les hommes moins « vertueux » qu’il ne les avait pensés. Ses émules, s’il en a aujourd’hui, sont, je le crains, en assez grand nombre dans le cas de se suicider…Qu’ils vivent plutôt tant qu’on les laissera vivre, qu’ils s’appliquent, en vivant, à témoigner que tout n’est pas perdu encore et qu’ils fassent humblement mais avec entêtement leur ouvrage.

 

Il ne faut surtout pas écrire pour écrire en forçant ou pour remplir un contrat. Cela arrive beaucoup à de vieux blogueurs qui tachent d’entretenir la gloire de leur blog quelquefois passé hélas ! de trouver les moyens de vivre en rejouant le même air de violoncelle ou de petite flûte qui assura leur succès. Les écrivains d’antan vieillissaient mieux, semble t’il ; nous entrons souvent aujourd’hui, bon gré mal gré, dans la moderne danse de Saint-Guy. Il faut s’en doute, pour bien vieillir, en prendre et s’en donner le temps, vaincre l’impatience de paraître une fois encore avant l’inévitable baisser du rideau, et non pas courir, comme il en est, pauvres clowns fébriles menacés d’ataxie, à travers les décombres de leur vie qu’ils pensent ressusciter rien qu’en replantant le décor factice.

 

Il est vrai, le temps vous presse de faire enfin la preuve qu’on juge n’avoir pas faite encore. Quelle impression affreuse que celle qu’on a parfois de n’avoir plus le temps de rien. N’importe, il faut attendre. Et après ? Le monde se moque de tes preuves ! Mais si l’on en est à un tel point de doute et de sécheresse qu’on doive attendre toujours ? Il faut bien se forcer. Il faut donc se forcer et attendre tout ensemble, attendre en cherchant en travaillant, pour soi et pour la vérité.

Il faut écrire pour les mêmes raisons pour lesquelles on vie, et, par conséquent, il faudrait d’abord vivre grandement. Si tu ne sens plus bien vivement tes raisons de vivre, quelles raisons aurais-tu d’écrire ? Ce qui fait la force d’un livre n’est que la force de la vie, la grandeur de cœur en celui qui l’a écrit. Si tu ne sens plus le mal des autres, si tu en as pris l’habitude, si tu ne souffres plus de l’injustice ; tais-toi, tais-toi. Tu ne saurais plus rien dire qui vaille.

 

On peut écrire de deux manières de tête ou du fond du cœur. Lorsqu’on écrit de tête, les mots se couchent sur le papier en toute obéissance et en bon ordre. Lorsqu’on écrit de cœur, les pensées affluent si nombreuses, l’imagination abonde en tant de souvenirs, que les expressions s’avèrent incomplètes, insuffisantes et crues.

 

« Je me trompais peut-être, mais je m’arrêtais toujours quand je commençais à écrire de tête et je m’efforçais à n’écrire que de cœur. » TOLSTOÏ, préface à la seconde version d’enfance.

 

« Il faut être quelqu’un pour produire quelque chose » GOETHE. (Je ne me souviens plus dans quelle œuvre il dit cela)

 

 

 

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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Jeudi 17 avril 4 17 /04 /Avr 13:14

Il se peut, après tout, que mon blog rencontre quelquefois un lecteur qui l’aime. Je sais bien ce qu ‘est cet internaute : quelqu’un qui, comme moi-même, n’est pas sûr d’être toujours intelligent, qui quelquefois se sent aussi dénué que moi-même, soit que les fées l’aient mal servi à sa naissance, soit que la confusion du temps ait désespéré sa bonne volonté, mais quelqu’un qui en dépit de tous ses manques et de toutes ses inaptitudes, tient bon et reste prêt à l’allégresse. Alors peut-être s’amusera t’il du voyage têtu que je fais de ma sottise, mené par un prodigieux désir. Ce grand pays de l’insuffisance, j’ai pensé souvent le connaître mieux que personne. Voilà un privilège que l’on ne m’enviera pas. Je connais toutes ses friches, mais s’y cache aussi l’inquiétude : elle y court, se tapit, bondit, court encore comme un lapin traqué dans un fourré. J’ai conscience de m’y perdre souvent. Au lecteur ami(e) qui me pardonne, je dis comme dans les vieux livres : Vale.

 

Ce qui aggrave notre inquiétude, c’est d’un mot seulement nous ne sommes pas heureux, cela n’est qu’une vieille histoire, mais que nous ne pouvons pas être contents de nous. Le mal est en nous :c’est nous qui le faisons, qui le créons. Si Voltaire, au XVIIIè siècle, protestait contre le mal, c’était à propos du désastre de Lisbonne. Il n’en avait qu’à une fatalité extérieure, mais le désastre est aujourd’hui en nous. C’est un désastre tout intime et nous avons mauvaise conscience. Une puissance que nous avons acquise par nos seuls moyens et dont nous ne sommes pas peu fiers nous a permis, depuis cinquante ans, d’organiser des désastres auprès desquels le tremblement de terre de Lisbonne n’est rien. Nous faisons mieux : Hiroshima, Ravensbrück, etc.

 

Nous savons que nos plus grands malheurs ou de nos plus grands bonheurs, nous serons décidément les premiers responsables. Le mal et le bien que nous ferons désormais tous ensemble, en tant que membres de l’une de ces sociétés monstrueuses que le siècle dernier ont fabriquées, passeront infiniment en grandeur le bien et le mal que nous avons pu faire en tant qu’individus séparés. Robots du mal comme du bien, c’est notre avenir. Nous avons, il y a cent cinquante ans, eu de grandes espérances. Renan a célébré ce moment admirable ou l’humanité prit conscience d’elle-même comme d’un corps organique et une volonté générale d’affranchissement. Ce fut la Déclaration des Droits de l’Homme. Mais à peine reconnus comme ces membres de l’humanité, nous nous sommes perdus dans la masse humaine. L’histoire a pris une effrayante vitesse. Avant d’être des hommes nous sommes devenus ces hommes-masse, bien plus vécus que vivants, avilis par les propagandes et les conformismes, envahis, occupés par d’autres pensées que les nôtres, jamais nous-mêmes, jamais seuls, ou plutôt toujours seuls, d’un solitude imbécile, victimes du nombre, toute qualité propre, toute individualité perdue. Nous faisons la queue à la porte des boulangeries, des maries, à la porte des casernes des camps de concentration, c’est la plus juste image de notre condition… étiquetés, enrégimentés, un abîme de vide en nous, dépossédés et souillés. L e comble est que les Etats enivrés fassent de cette aliénation totale l’idéal même vers quoi doit tendre l’homme citoyen.

 

Comment n’accorderais-je pas à un écrivain infecte que j’exècre quelques lignes. Barres ! Je le déteste de tout mon être, depuis que j’ai découvert dans un de ces livres cette petite phrase basse où le cynisme du faux aristocrate dissimule assez mal la peur du bourgeois : « Que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance, voilà une condition première de la paix sociale. » Cet héritier, ce nationaliste, ce grand bourgeois jugeait ridicules et criminel tous nos rêves...

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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Lundi 21 avril 1 21 /04 /Avr 09:35

L’erreur de Nietzsche est d’associer, bien plus qu’il n’en a conscience, l’idée de culture à l’idée d’aristocratie. On naît « roi de la vie » bien qu’on ne le devient. Je connais des « rois de la vie » nés dans l’ignorance et la misère. Ils sont par leur nature même et rien au monde n’est capable de les vaincre. Le problème de la société humaine use est de promouvoir au premier rang et à chaque instant ces hommes invincibles pour qu’ils réveillent en nous la dignité et la liberté.

 

Il est tels pour qui la pensée n’est que moyen d’un songe et tels pour qui elle est l’arme d’un combat. La pensée la plus vraie finira par l’emporter. C’est tout ce que je veux croire. Lorsque je me suis pris à considérer les visages de ceux que j’aime, les rides pathétiques qu’y a imprimées une vieille peur, je n’ai pensé qu’à les effacer. Ce sont les conditions de la vie qui font la vie. Qui dira que nous ne pouvons pas changer ? Nous tirons tous la même charrette, mais tous les charretiers vous diront qu’il y a façon de la charger.

 

Il faudrait n’écrire que les jours de confiance et de force. Des blogs de souvenirs ne sont qu’une avachissante masturbation s’ils ne sont pas menés par un grand instinct. Chacun sait des choses qu’il est le seul à savoir. Il ne faut que les trouver et les dire, avec confiance, sans aucun respect humain, avec cette certitude qu’elles en valent la peine. Mais peut-être, quant à moi, ai-je trop pensé quelquefois à la phrase, au chant, à la musique de l’œuvre. Cela est paralysant, outre que la pensée s’en va, dès qu’on se préoccupe de la forme pour elle même. Un bon écrivain écrit bien sans y penser. La forme n’est qu’un outil dont il est toujours maître : « Un beau et grand murmure » me dit toujours Tacha pour caractériser ce qui est à ses yeux un grand livre. Oui, mais il ne faut pas que murmurer…

C’est de soi-même surtout qu’il convient de parler avec quelque ironie. Mais attention ! non pas l’ironie d’une femme qui s’avilit et se méprise, mais l’ironie de la force, de la maîtrise de soi.

 

Il n’y a pas de limite à la fidélité ; ainsi se sent on nécessairement, à tout retour sur soi-même, toujours infidèle. Si j’étais tout à fait fidèle, je brûlerais tous mes livres et tout ce que j’ai. Je quitterais mon petit appartement. « Qu’importent tous ces biens dit le pharisien, si je n’y tiens pas ! » Hypocrite ! On nous a une fois cambriolé chez Tacha : pendant des mois, il m’a semblé avoir perdu la moitié de moi-même. Pour quelques objets qui manquaient autour de moi, ma vie était toute défleurie. Cette expérience me laisse une vague inquiétude sur la consistance de mes nobles pensées. Tout de même je ne brûlerai rien. Le mal est en moi désormais, s’il y a mal, et je continuerai de croire m’expliquer le monde et, quand je ne fais peut-travailler à le changer, quand je ne fais peut-être que le vainement contempler.

 

Qu’est-ce donc qui vaux mieux ? La conscience ou la vie ? La culture n’est qu’un immense détour que nous faisons pour mieux apprendre ce qu’est la vie, augmenter la conscience. Mais combien ne sortent jamais de ce détour s’y perdent, ne reviennent jamais à la vie ? J’ai peut-être ainsi déjà mal entamer ma vie d’adulte ? Certes j’ai eu ma part de douleurs privées mais, tout compte fait, je suis heureuse. Installée dans mon capharnaüm rempli de livres, j’échappe autant qu’il se peut à la misère publique, aux souffrances qui, pour un grand nombre de mes contemporains, résultent des institutions mêmes, de l’organisation de la société, de la rationalisation grandissante du travail, de la déshumanisation des métiers, toutes choses que je connaîtrais si je n’avais pas réussi mes études et n’étais pas l’intellectuelle que je suis aujourd’hui, cette contemplatrice de la vie d’autrui. Je sens bien qu’à cause de cela je ne guérirai pas d’une certaine gène. L e sentiment d’une sorte de trahison me pèse souvent sur le cœur. Il me semble trahir tous ceux que j’ai quittés en ne souffrant pas comme eux. Je parviens quelquefois à me composer d’assez bons petits résumés des désordres du monde et de la misère des autres. Ils sont parfois assez clairs et j’ai la naïveté d’en être, au moins un moment satisfait. J’en fais alors des pages sur mon blog. Mais revenue au bon sens et à la modestie, je sens la vie vraie et forte passer près de moi comme un grand fleuve. Il emporte mes petits papiers…

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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Jeudi 24 avril 4 24 /04 /Avr 11:53

Ce qui m’inquiète davantage c’est que je trouve que tu plaisir là même où le plus grand nombre de mes contemporains ne trouvent que de la peine, dans mon travail. Le travail n’est souvent pour eux que la nécessité et la contrainte, le moyen de gagner une vie. Ils s’appliquent les dimanche et les jours de repos à oublier. Ces jours là, ils deviennent  d’autre personnes. Il ont leur âme du dimanche, comme jadis les gens avaient leurs habits du dimanche. Pour moi tous les jours sont des dimanches. Mon travail est mon plaisir, ma vie même. Je crains qu’une telle vie soit faussée. Depuis la fin du lycée, je n’ai plus l’impression de travailler. Je ne fais que ce qui me plait : calculer, imaginer, rêver, parler, écrire. Quand les journées sont longues, c’est que je n’accepte pas que finisse le plaisir. Je pense à ceux pour qui le travail n’est qu’un moyen d’avoir du pain. Que peuvent valoir pour eux tous mes équations ou mes petits papiers de mon blog ? Il me semble parfois n’avoir moi-même qu’une âme de papier, délestée et vaine, à qui manque le poids des épreuves et de la nécessité.

 

Quelquefois, la nuit, entre la veille et le sommeil, préoccupée par le mauvais usage que je fais de ma vie et la chance que j’ai d’être là, je pense au blog qu’un autre que moi pourrait écrire à propos de mon âme. Il me semble, dans l’étrangeté de la rêverie, tenir la mienne comme une chose dans mes mains. Je la tourne, la retourne et l’interroge. Je voudrais qu’elle parle et me dise ce qu’elle est vraiment, ce que je ne parvient pas à savoir. Je bavarde avec vous sur mon blog, on s’ignore ou l’on s’oublie. On connaît très mal sa propre histoire, et tout se passe au-delà des anecdotes dont on se souvient et qu’on peut raconter, même sans vanité et sans forfanterie. Et pourtant quelle histoire ce pourrait être, si on parvenait à en retrouver le fil, quelquefois rompu, mais toujours raccommodé, le jeu des choses où l’on fût pris, des fidélités et des infidélités à soi-même, l’élan, la tension même à travers ses faiblesses, l’instinct égoïste qui invinciblement lui donna une suite et la régla, jusqu’à ce que, insidieusement et, le plus souvent, sans qu’on sache seulement comment, le destin ait le même et dernier mot, et tout cela n’étant qu’une secrète bataille dont, dans quelques rare moments, on a une totale conscience.

 

On annonce la civilisation des loisirs. Mais les loisirs des hommes nécéssitent la même formation, la même préparation que leur travail. Tout est affaire de dons naturels et d’éducation. Nous faisons les métiers que nous pouvons faire que nous avons appris à faire. Nous n’avons de même et nous n’aurons jamais que les loisirs que nous méritons, ceux pour lesquels nous aurons été préparés. Je souhaite qu’on joue un peu moins au football et qu’on lise d’avantage.

Si bien qu’en fin de compte le problème des loisirs est encore le problème de l’enseignement. La société industrielle contemporaine se prépare seulement une main-d’œuvre. Elle est comme on dit fonctionnelle. Son principe utilitaire est un principe de mutation. De grande masse de robots dociles et un peu bêtes suffiraient à assurer son développement, et les loisirs de ces robots pourraient être seulement imbéciles. Il est plus nécessaire que jamais de préparer les hommes dès l’école, à la gratuité et au désintéressement, à une vraie vie au-delà de celle qu’ils gagnent. Prenons garde ! Il peut-être plus malaisé de sortir un peuple de la demi-culture et de sa suffisance vaniteuse que de l’ignorance et de l’analphabétisme. Les derniers progrès sont les plus difficiles.

 

L’inégalité des esprits entre les hommes est la plus douloureuse à considérer qui soit. Il est à cet égard deux politiques : l’une est de s’en accommoder, voire d’en profiter de l’entretenir ; l’autre fait tout ce Qu’elle peut pour la corriger sinon l’abolir, puisque cela est impossible.

Liberté ! aucun mot peut-être, n’est plus souvent employé, mais aucun n’est plus hypocritement exploité. Rares sont les hommes libres, je veux dire les hommes qui pensent à l’être et le veulent vraiment. Pour la grande masse, la liberté est seulement celle de ses habitudes, mais elle y tient. Ainsi la liberté est-elle un mot si populaire. Mais elle ne désigne le plus souvent qu’un conformisme, une illusion qui, bien entretenue par le pouvoir, fait oublier la justice. L’occident serait liberté, assure-t-on, l’Orient, servitude. Je ne vois que deux formes de servitude, soit que la liberté fasse oublier la justice, soit la justice fasse oublier la liberté.

 

Grâce à mon blog, je voudrais écrire dans la sérénité et l’indifférence ce qui a chance d’être mon espace personnel et intime. Il y a un ton à trouver, le ton juste, pour rencontrer le vrai. Mais la mémoire est mauvaise conseillère. Le magasin d’idées est comme vide. Je n’ai pour vous écrire que ma passion, qui est le mouvement de ma vie. Suffira-t-elle ? Je n’ai rien à demander à mes lecteurs, je n’attends rien d’eux. Est-il, peut-être meilleures conditions pour écrire ? Ce devrait être vraiment un espace de vérité. Et pourtant j’écris mal.

N’aurais-je rien à dire ? Cet état d’indifférence où vous met la réflexion n’est pas un état de vérité. I l faut sans doute être dans l’inquiétude et le combat pour sentir, entendre un appel. Ainsi notre destin est-il de ne pas l’entrevoir jamais que confusément.

 

Peut-être que je n’écris que d’après moi-même et je ne pense pas assez à ce que disent ou veulent dire les autres. S i je les écoutes, je m’enrichirai très certainement. Que voulait dire Guilloux, Dabit, Giono, Malraux ?

 

« Il me semble que la nature à travaillé pour des ingrats : nous sommes heureux et nos discours sont tels qu’il semble que nous ne le soupçonnions pas. Cependant nous trouvons partout des plaisirs ; ils sont attachés à notre être. Il faudrait convaincre les hommes du bonheur qu’ils ignorent, lors même qu’ils en jouissent » MONTESQUIEU, cahiers.

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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Dimanche 27 avril 7 27 /04 /Avr 12:46
 « Je suis sûre qu’il ne faut jamais se permettre d’être à son moi le plus profond. »

Kath. MANSFIELD

 

Gandhi, Tolstoï avaient un sens admirable de ce que devrait-être notre humilité. Elle est la condition de l’égalité. Il faudrait ne pas se mentir à soi-même et connaître tout le mal qu’on fait. Nous continuons d’avoir, sans seulement y penser, nos esclaves qui font tout ce que nous ne voulons pas faire. Tolstoï demandait que chacun portât personnellement tout le travail et les dangers de la vie et ne les mît pas sur le dos des autres. Il voulait que chacun gagnât tout son pain. Ce n’est pas aux autres à nous le gagner.

 

J’ai à l’esprit ce texte de Montaigne : « Les plus belles vies sont, à mon gré celles qui se rangent au modèle commun et humain, mais sans miracle et sans extravagance. » C’est à peu près le dernier mot plein d’humilité, des essais. Je me suis toujours donné pour une « femme de série », une femme du commun, et l’expression à certains, cela peut paraître démagogique par trop d’humilité. On me l’a souvent reproché. Je devrais sans doute écrire pour la dernière un livre que j’intitulerais le commun des femmes pour en mettre en valeur tout au contraire la grandeur. Il n’y a aucune modestie à s’en recommander. C’est un sujet autour duquel je réfléchis souvent. Mais il faudrait pour le bien traiter, la force de la vie, la confiance d’un Whitman d’un Hugo, d’un Tolstoï.

Le « modèle commun »est, dans la réalité, le plus grand qui soit, et il n’y a que de la fierté à prétendre le retrouver en soi, et les plus grands des écrivains sont ceux qui y sont parvenus, non ceux qui exploitent quelque petite différence par laquelle ils croient se distinguer de la masse des humains, ne célébrant que leur personne, émerveillés d’être si intelligents et si rares. Les fats de cette sorte n’ont jamais manqué. La plus haute inspiration a son principe et sa source dans le sentiment profond qu’un écrivain peut avoir de ne se connaître que des semblables. Quelle fraternité dans ces paroles de la Préface des contemplations : « Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. » Etre Hugo, plein d’œuvres et au sommet de la gloire, et refuser de croire à l’honneur de n’être que soi !

La conscience, la volonté de cette identification avec le commun des hommes n’a sans doute, en aucun écrivain, été plus nette et plus claire que dans les feuilles d’herbe de Walt Whitman. Il a franchement voulu être le poète de la démocratie idéale, telle que la découverte d’un nouveau continent, une sorte de recommencement de l’histoire humaine, une fièvre d’invention jamais encore connue, sans un sens tout neuf de l’égalité nécessaire donnait occasion de la définir. Il voulait être tous les hommes non pas seulement abstraitement les penser. Les plus simples, les plus humbles étaient ses plus cher camarades, de cochers, des passeur de bac. Il se sent tour à tour typographe, journaliste, charpentier. Tous les métiers se valent. Le monde n’est qu’une grande œuvre à laquelle tous les hommes collaborent. Il devient son peuple, son pays même. Des hommes seulement, non des dieux, ni des prêtres, peuvent avoir l’intuition de la foi humaine des temps futurs. La vraie sagesse n’est que de la pensée d’homme. « Aucun homme, écrit-il, n’a commencé à penser combien divin il est lui-même. »

C’est cette voix que j’ai entendue, il y a sept ans un jour chez Tacha, et je n’ai plus cessé de l’entendre.

Le fâcheux est qu’on ne se définit jamais ce « modèle commun » que d’après soi-même, si bien qu’on n’avance et ne gagne guère par cet effort qu’on fait pour le rejoindre. Comment sortir de soi ?

 

Quelle peine ont eue nos anciens à imposer l’idée d’humanités modernes, à créer une licence, une agrégation de lettres modernes ! On n’enseigne, dans les lycées, le russe, en tant que russe que depuis 1875 environ. Et sans doute, le russe est-il encore ce qu’il y a de plus mal enseigné dans notre système d’enseignement. C’est aussi qu’il n’est rien de plus difficile. Quelle prétention d’enseigner à des gens ce qu’ils croient déjà savoir ! Le professeur est plus à l’aise quand il enseigne une chose qu’il est seul à savoir, le latin, une langue étrangère ou quelque science que ce soit. Mais si vous enseignez le russe, vous enseignez quelque chose que tous les enfants à qui vous parlez croient déjà connaître, et même il arrive que quelques-un le sachent déjà en effet aussi bien que vus, étant plus sensible à ses finesses et ses merveilles.

Je parle de ma langue mais suis certaine que cela est de même pour le français en France.

 

L’invention crée l’invention, et tout se passe comme si depuis environ quatre-vingts ans, la tête des hommes étaient devenue plus intelligente et leurs mains plus habiles. L’homo faber s’est trouvé brusquement armé de façon tout à fait nouvelle et les mains techniciennes travaillent en même temps que la tête pense. Les inventions ne nous surprennent plus et même nous nous étonnons que certaines n’aient pas été faites plus tôt.

 

Il faut enseigner aux adolescents leurs temps et rendre à tous les hommes leur monde qu’ils semblent parfois en train de perdre du fait  même de sa rapide transformation. J’ai connu, pendant mes vacances, enfant, un paysan qui était plus maître de son monde que ne pourra l’être son fils ou son petit fils. Il ne savait pas lire…son monde était la nature autour de lui, les champs, des chemins qu’il connaissait, des herbes qu’il était capable de nommer sans aucune culture livresque, mais il lisait la terre elle même. Une herbe rongée suffisait à l’avertir soudain qu’un lapin, un lièvre était passé par là., Il vivait dans une monde qui, par les couleurs, les sons, les bruits étaient vraiment le sien. Son ignorance le mettait en garde contre les mensonges.

Dans quel monde vivons nous ? On nous l’arrache par morceaux. Il est comme une toile déchirée. IL faudrait la raccommoder. Les matières plastiques remplacent tout. Nous vivons dans le faux-semblant et si quatre-vingt dix pour cent de notre savoir est tout actuel, tout récemment acquis, comment ne perdrions pas notre passé, n’oublierions-nous pas notre âge et notre histoire ?

Aucun homme ne sera plus, à l’intérieur de ce temps, ce que pouvait être un Montaigne à l’intérieur du sien. Montaigne savait tout ce que son temps pouvait savoir. Personne ne saura plus tout ce qu’il est possible de savoir du nôtre. Le plus nécessaire serait d’essayer de définir et de reconnaître le fond de culture commun qui permettrait à tous de vivre leur temps. Il faut craindre que la diversité même de ce prodigieux savoir, en nous contraignant à la spécialité, ne nous conduise à une singulière sottise. Nous pouvons devenir des fourmis très actives, transporter chacun notre petit paquet, notre miette, et la fourmilière se remplira. Mais le cerveau de rassemblement de toutes ces fourmis ne sera nulle part. Oppenheimer, raisonnant sur ces choses, nous console en nous avertissant qu’un certain esprit pourrait nous sauver si nous y prenions garde : c’est que chacun de nous sache quelque chose sur cette chose même et la connaissance qu’il en a il prenne idée de ce qu’est la vérité. Nous savons quand nous savons et quand nous savons pas. Là est peut-être le salut, et Oppenheimer garde sa foi en la raison. Chacun par une discipline que sa spécialité même peut l’obliger à pratiquer, peut se mettre, si l’on peut dire, en état de vérité et reconnaissance quand les autres le sont avec lui, et c’est l’association de tous ces hommes authentiques mis en état de vérité qui ferait une société authentique et capable de la liberté. Car la liberté n’est que le fruit de la connaissance et nous devenons plus libres à mesure que nous savons davantage et distinguons mieux dans l’ensemble des choses le vrai et le faux.

 

Il y a une profonde inégalité de développement entre les sciences de la nature et les sciences de l’homme. L’augmentation prodigieuse de notre savoir concerne les choses, la nature autour de nous, mais non pas nous-mêmes, et ce déséquilibre nous rend vaniteux. Nous croyons tous être allés, l’autre jour, dans la lune où tout près d’elle. Le prestige de la découverte est immense, et cela est juste, mais crée en nous un dangereux orgueil. La vieille formule de Bacon « savoir c’est pouvoir », a commandé la science moderne, mais il y a un grand péril à pouvoir plus qu’on ne sait. Ce que chacun de nous peut est souvent extraordinaire, mais ne le rend pas plus malin. A voir un moteur sous soi donne une puissance singulière, et, dès lors, un désir d’étonner, d’être le premier. Chacun appuie sur l’accélérateur et croit que c’est lui-même qui dans l’instant travaille. Un platane soudain le rend à la modestie. Nous gagnerions beaucoup à prendre aussi conscience de notre ignorance, profonde et illimitée, de tout ce qui reste à connaître, et ce devrait être l’objet de l’enseignement, autant que d’augmenter notre savoir de spécialiste.

Joubert écrivait dès le commencement du XIXè siècle : « Les mathématiques rendent l’esprit juste en mathématiques, tandis que les lettres le rendent juste en morale. Les mathématiques apprennent à faire des ponts, tandis que la morale apprend à vivre. » Que ne pourrait-il écrire aujourd’hui ! C’est le plus grave défaut des réformes actuelles. Elles témoignent du même souci, professionnel technologique et technique. Que veut-on faire ? Remplir le plan préparer des manœuvres pour toutes places qu’ouvre le plan, des robots, des hommes dociles et obéissants.

Toute institution humaine n’est qu’un reflet de la société, et il serait curieux qu’on ne trouvât pas dans l’école tout ce qu’on trouve partout autour d’elle. Sans doute une vraie démocratisation de l’enseignement ne peut-elle être que l’effet de la démocratisation de la société delle-même et la suppose-t-elle. Une société n’a jamais que l’école qu’elle mérite.

Il n’y a pas plus grande offense que de refuser à un enfant, à un adolescent, le savoir, la culture et par suite toute conscience, la liberté dont il est capable. C’est le plus grand crime qu’on puisse commettre contre un esprit.

Il faut que l’école soit elle qu’elle interdise cette offense et forme des hommes « profonds » comme le demandait Diderot, aussi profonds qu’ils pourront être.

Valéry expliquait que nous pouvions tous devenir des hommes assez heureux mais peut-être un peu bêtes et assez peu exigeants dans l’ordre de l’intelligence. Il disait que les sociétés heureuses n’aimaient pas beaucoup l’esprit. Elles n’en ont pas besoin. De tels avertissements sont bien utiles. J’ai un grand souci du bonheur des hommes, mais je dois reconnaître qu’au fond de moi-même je suis encore plus intéressée par leu honneur, leur intelligence et leur liberté.

 

Un grand écrivain, surtout dans les périodes malheureuses de l’Histoire, est à la fois poète et prophète, vates. Le monde, comme il va, ne peut nous suffire. La prophétie peut n’être qu’un grand souvenir, telles sont les profondeurs constantes de notre condition. L’age d’or, selon la légende, était aux commencement des temps, mais il vaut mieux croire sans doute que chaque enfant qui naît peut-être le renouvellement du monde.

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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