Samedi 12 avril 6 12 /04 /Avr 10:38

Cela se sent dès le premier mot qu’ils disent. C’est entre eux et nous une sorte de fraternité physique. Il respirent comme nous. Il défaillent comme nous. Nous reconnaissons en eux notre force comme notre faiblesse de cœur. Nous les aimons en dépit de nous-mêmes, et même si à ces questions qui sont l’orage de notre ciel, ils font une autre réponse que la nôtre. Ce qui importe, c’est de se sentir sous le même orage, et la qualité de l’angoisse nous unit bien davantage que la réponse par quoi nous affectons de nous en débarrasser.

 

Cet accord qu’il sent avec mille frères inconnus, il n’est pas sans doute de plus grande joie pour l’écrivain. Ce n’est pas la joie basse du succès, mais quelque chose d’infiniment plus profond. Le plaisir des autres doit lui être j’imagine, la garantie de sa propre authenticité. Il lui semble que sa respiration est la respiration même du monde. Comme Antée, lorsqu’il touchait la terre, il sent la force affluer en lui. Ne nous laissons pas tromper par les déclarations de ceux-là qui déclarent s’enchanter de leur solitude. Elle ne sont pas sincères. Ils espèrent  en dépit de tout. Ils se promettent l’avenir. C’est Stendhal, c’est Nietzsche. Il arrive que leur misère tourne à la folie. Nietzsche est mort convaincu qu’il était le témoin entre les témoins, le martyr entre les martyrs, un nouveau Crucifié.

Mais cet accord n’est jamais définitivement acquis ; il est toujours hasardeux, menacé et difficile à maintenir. C’est le drame de l’écrivain.

Il ne s’écrit rien de valable que par l’angoisse de la vérité. Le problème n’est pas de savoir pourquoi on écrit, mais à quelles conditions un écrivain demeure dans sa vérité. La rhétorique, la politique, le goût du succès, la mode, la gloire lui tendent bien des pièges et l’égarent. Rarement réussit-il à être constamment  lui-même, à ce qui, au départ, le contraignit d’écrire, sans qu’il s’en donnât de raisons.

 

Mais j’ai pris peut-être la question trop au sérieux. Le mot littérature dans les blogs couvre bien des activités différentes. Négligeons ce qui n’est que commerce, foire aux vanités. Ne pensons qu’a ces vrais artistes, à ces puissantes natures pour qui écrire est une sorte de jeu royal et qui, dès l’abord, ne leur pose pas tant de problèmes de conscience. Ils s’amusent et espèrent amuser. Voilà tout, et leurs jeux sont des jeux de dieux. L’art d’écrire n’est pas cette rationalisation sur soi à laquelle j’ai pu faire penser. Rien de ce qu’on écrit, certes, ne doit être coupé de soi-même. Il ne se résigne pas à soi. Ecrire, c’est bien plutôt pour lui se débarrasser de lui-même. Il écrit pour la vérité. Il s’efforce, il peine vers  le monde qu’il croyait peut-être d’abord naïvement posséder, et s’opère une transfiguration. Il se voit habité par la pensée des autres. Il s’oublie et devient les choses mêmes. Il respire dans quelque chose de bien plus vaste que lui-même. Sa voix n’a pas changé, mais, il ne sait comment, il lui semble qu’elle soit désormais accordée avec la voix de tout ce qui est et que la vie même du monde soit passée en lui. Si cela est vrai ou faux, ses lecteurs en jugeront.


Mais il n’est de chemin sur lequel on s’égare davantage que ce chemin de soi au monde. Un écrivain…c’est une des contradictions de sa condition…est à la fois le plus privé et le plus public des êtres. Rien, au départ, de plus secret, de plus intime, de plus propre, de plus volontairement séparé que sa méditation. Il rêve d’être unique et de produire une chose unique, sûr de ne valoir qu’à ce prix. Son blog paraît, et il arrive que brusquement il n’y ait pas d’homme plus regardé que lui. Comment ne pas frémir et ne pas changer sous tant de regards ? Voilà qu’il appartient à tout le monde. Le plus intime de lui est en vitrine sur internet. Il est comme dans une chambre aux miroirs qui lui renvoient cent reflets de lui-même. Comment ne remarquerait-il pas une telle image de lui semble aux autres plus séduisante. Et s’il réalise une nouvelle page, sera t’il pas tenté de faire en sorte que cette image, ce profil soient mieux en vue ? Incipit comoedia. C’est une lutte désormais entre sa vanité et son orgueil, entre son désir de plaire et sa volonté d’être soi. On commence par la sincérité ; on fini trop souvent par la manière.

Au bout du compte, les raisons qu’un véritable écrivain a d’écrire sont les raisons mêmes qu’il a de vivre et les valent. Mais qu’il prenne garde ; dans son cas tout se voit. S’il écrit, il écrit toujours comme il vit, ou quelquefois, quand il s’efforce comme il voudrait vivre. Son style est son être véritable et le trahit. Les graphologues, à ce qu’on dit, découvrent dans les pleins, les déliès  et toutes les grimaces de notre graphie, notre caractère, notre intelligence, notre cœur et, paraît-il jusqu’à nos maladies. Mais que ne révèlent pas d’un écrivain l’inflexion, le mouvement, les formes de son langage ? On le reconnaîtrait tout entier si on savait mieux le lire, l’écouter. Surtout on connaîtrait mieux son caractère profond. Rien n’est faux comme la critique dénigrante qui cherche les faiblesses de la vie d’un écrivain pour avilir son blog ou son message. Sa vraie vie, c’est son œuvre, ses écrits. Il sont ce qu’il a voulu. Tout le reste peut n’être que ce qu’il a subi. Il sont sa vie construite et repensée.

« Celui qui aujourd’hui ne se retire pas entièrement de ce bruit et ne se fait pas violence pour rester isolé est perdu. » GOETHE, entretiens avec Eckermann.

 

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours - Communauté : fgouteuse!
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