Jeudi 17 avril 4 17 /04 /Avr 13:14

Il se peut, après tout, que mon blog rencontre quelquefois un lecteur qui l’aime. Je sais bien ce qu ‘est cet internaute : quelqu’un qui, comme moi-même, n’est pas sûr d’être toujours intelligent, qui quelquefois se sent aussi dénué que moi-même, soit que les fées l’aient mal servi à sa naissance, soit que la confusion du temps ait désespéré sa bonne volonté, mais quelqu’un qui en dépit de tous ses manques et de toutes ses inaptitudes, tient bon et reste prêt à l’allégresse. Alors peut-être s’amusera t’il du voyage têtu que je fais de ma sottise, mené par un prodigieux désir. Ce grand pays de l’insuffisance, j’ai pensé souvent le connaître mieux que personne. Voilà un privilège que l’on ne m’enviera pas. Je connais toutes ses friches, mais s’y cache aussi l’inquiétude : elle y court, se tapit, bondit, court encore comme un lapin traqué dans un fourré. J’ai conscience de m’y perdre souvent. Au lecteur ami(e) qui me pardonne, je dis comme dans les vieux livres : Vale.

 

Ce qui aggrave notre inquiétude, c’est d’un mot seulement nous ne sommes pas heureux, cela n’est qu’une vieille histoire, mais que nous ne pouvons pas être contents de nous. Le mal est en nous :c’est nous qui le faisons, qui le créons. Si Voltaire, au XVIIIè siècle, protestait contre le mal, c’était à propos du désastre de Lisbonne. Il n’en avait qu’à une fatalité extérieure, mais le désastre est aujourd’hui en nous. C’est un désastre tout intime et nous avons mauvaise conscience. Une puissance que nous avons acquise par nos seuls moyens et dont nous ne sommes pas peu fiers nous a permis, depuis cinquante ans, d’organiser des désastres auprès desquels le tremblement de terre de Lisbonne n’est rien. Nous faisons mieux : Hiroshima, Ravensbrück, etc.

 

Nous savons que nos plus grands malheurs ou de nos plus grands bonheurs, nous serons décidément les premiers responsables. Le mal et le bien que nous ferons désormais tous ensemble, en tant que membres de l’une de ces sociétés monstrueuses que le siècle dernier ont fabriquées, passeront infiniment en grandeur le bien et le mal que nous avons pu faire en tant qu’individus séparés. Robots du mal comme du bien, c’est notre avenir. Nous avons, il y a cent cinquante ans, eu de grandes espérances. Renan a célébré ce moment admirable ou l’humanité prit conscience d’elle-même comme d’un corps organique et une volonté générale d’affranchissement. Ce fut la Déclaration des Droits de l’Homme. Mais à peine reconnus comme ces membres de l’humanité, nous nous sommes perdus dans la masse humaine. L’histoire a pris une effrayante vitesse. Avant d’être des hommes nous sommes devenus ces hommes-masse, bien plus vécus que vivants, avilis par les propagandes et les conformismes, envahis, occupés par d’autres pensées que les nôtres, jamais nous-mêmes, jamais seuls, ou plutôt toujours seuls, d’un solitude imbécile, victimes du nombre, toute qualité propre, toute individualité perdue. Nous faisons la queue à la porte des boulangeries, des maries, à la porte des casernes des camps de concentration, c’est la plus juste image de notre condition… étiquetés, enrégimentés, un abîme de vide en nous, dépossédés et souillés. L e comble est que les Etats enivrés fassent de cette aliénation totale l’idéal même vers quoi doit tendre l’homme citoyen.

 

Comment n’accorderais-je pas à un écrivain infecte que j’exècre quelques lignes. Barres ! Je le déteste de tout mon être, depuis que j’ai découvert dans un de ces livres cette petite phrase basse où le cynisme du faux aristocrate dissimule assez mal la peur du bourgeois : « Que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance, voilà une condition première de la paix sociale. » Cet héritier, ce nationaliste, ce grand bourgeois jugeait ridicules et criminel tous nos rêves...

Par Elena Tikhvinskaya - Publié dans : Cogito: Ma réflexion en cours
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