Pourquoi vouloir construire des ordinateurs de plus en plus petits ? De nos jours, la science fait d’énorme progrès
dans la miniaturisation des composants, qu’il s’agisse des tubes à vides, des transistors, des minuscules circuits intégrés ou des puces à silicone. Alors imaginons que la structure globale de
l’ordinateur soit au contraire agrandie afin de recevoir un plus grand nombre de ces composants miniaturisés.
Un cerveau trop volumineux finirait par perdre de son efficacité, car les impulsions nerveuses ne se déplacent pas très vite. Les plus rapides n’excèdent guère les 6 km/mn. Une impulsion nerveuse
peut traverser le cerveau de part en part en 1 /440é de seconde, mais elle mettrait 2,4 mn pour traverser un cerveau de 14 Km de long, si toutefois il en existait de tels. Ainsi, la capacité
supplémentaire obtenue par l’augmentation du contenant serait tout simplement réduite à néant par la lenteur de la transmission et du traitement de l’information.
Les ordinateurs en revanche, utilisent des impulsions électriques se propageant à plus de 17,6 millions de Km/mn. Un
ordinateur gigantesque de 640 Km de long serait donc traversé de bout en bout par une impulsion électrique de 1/440é de seconde environ. Par conséquent, il serait en mesure de traiter
l’information aussi rapidement que le cerveau humain.
Imaginons que nous disposions d’ordinateurs immenses, composés d’éléments microscopiques étroitement imbriqués les uns dans les autres. Dès lors, n’est –il pas envisageable que l’informatique finisse par égaler la capacité du cerveau humain?
Mais y-a-t-il une limite théorique à l’intelligence d’un ordinateur ?
Personnellement je n’en ai jamais entendu parler. Un ordinateur gagne en puissance chaque fois que l’on réussit à
augmenter sa complexité à l’intérieur d’un volume donné, et chaque fois que son volume initial est agrandi sans que sa complexité à l’intérieur en pâtisse. Par conséquent, si l’on parvenait à
construire d’immenses ordinateurs ultra-sophistiqués, pourquoi ne rivaliserait-ils pas avec l’intelligence humaine ?
Je n’avais à peine fini ma phrase que notre pénible de service, me lança : « Mais un ordinateur est incapable
de composer une symphonie sublime, de créer une œuvre d’art ou de développer une théorie scientifique géniale » Ce à quoi je lui ai répondu : pourquoi vous en êtes capable,
vous ? »
Bien sûr, même si la plupart des gens ne présentent aucun talent particulier, il existe néanmoins des surdoués.
Pourtant, ceux-ci n’atteignent le génie que parce que les atomes et le molécules composant leur cerveau sont ordonnés de façon complexe. Car un cerveau se compose uniquement d’atomes et de
molécules. Donc si l’on parvenait à ordonner de la même façon les atomes et les molécules à l’intérieur des ordinateurs eux aussi devraient atteindre le génie. La taille de leur composants, bien
plus gros que ceux du cerveau représenterait certes un handicap, que l’on compenserait en augmentant le volume global de l’ordinateur. Mon septique de service me lança alors : « Mais
les ordinateurs ne peuvent exécuter que les tâches pour lesquelles ils ont été programmé. » Je lui ai répondu : « Exact, tout comme les cerveaux qui sont programmés par leurs
gènes. Une partie de cette configuration génétique concerne la capacité à apprendre. Il suffirait donc d’installer une programmation similaire dans un ordinateur suffisamment sophistiqué.
Poursuivons le raisonnement. Si l’on admet qu’un ordinateur puisse devenir aussi intelligent qu’un être humain, pourquoi ne pourrait-il pas devenir plus intelligent ?
Eh oui, pourquoi pas ? Après tout, c’est peut-être ça l’évolution ? Réfléchissons : il a fallu trois milliards d’années pour que le développement anarchique des atomes donne finalement naissance, par un processus d’une incroyable lenteur, à une espèce intelligente pour passer d’elle même, en quelques siècles, voire quelques décennies à l’étape suivante : l’ère de l’informatique. Une fois ce cap franchi, la véritable évolution pourrait alors commencer. Vous allez me dire : « Mais si les ordinateurs deviennent plus intelligents que nous, ils vont nous piquer notre place ! » Et alors pourquoi pas ? Ils pourraient s’avérer aussi tolérants qu’intelligents et se contenter de laisser la race humaine mourir à petit feu, en gardant quelques spécimens dans des zoos, ou bien chez eux, comme un animal de compagnie. Car enfin, si l’on songe à ce que nous infligeons aux autres êtres vivants et à la planète tout entière, peut-être est-il grand temps pour nous de céder la place. Le véritable danger, en fin de compte, serait peut-être que l’informatique ne se développe pas assez vite pour nous empêcher de saccager notre milieu naturel.
En évoquant la possibilité que les ordinateurs super intelligents finissent par nous remplacer, j’ai laissé entendre,
avec un brin de cynisme, qu’une telle évolution serait souhaitable, vu le comportement agressif dont l’homme faisait preuve envers son propre environnement. De nos jours les ordinateurs prennent
une importance prépondérante dans l’industrie, et bien qu’ils demeurent des abrutis sur le plan de l’intellect, ils s’améliorent à grande vitesse.
Considérons alors le problème de leur éventuelle suprématie sous un autre angle. Le résultat, bien sûr, du degré
d’intelligence, atteint par les ordinateurs, et leur propension à nous considérer comme de simple animaux de compagnie (dans le meilleur des cas) ou une vermine nuisible (au pire). Ce qui
implique que l’intelligence puisse se graduer à l’aide d’un instrument de mesure, par exemple un test Q.I. ; puis s’exprimer par un nombre. L’intelligence humaine moyenne se situant aux
environs de cent points de Q.I., il est à peu près certain que dès que l’ordinateur de base aura dépassé ce stade, nous aurons de sérieux ennuis.
Toutefois la méthode paraît quelque peu rudimentaire. Une qualité aussi subtile que l’intelligence ne se calcule pas de façon aussi tranchée. En fait, il en existe plusieurs sortes. Rédiger un
essai cohérent, choisir les mots adéquats et les placer dans le bon ordre requièrent certaines aptitudes. Etudier une machine compliquée comprendre améliorer son fonctionnement, la réparer si
elle tombe en panne, en exigent d’autres. En ce qui concerne les mathématiques ou l’écriture, mon intelligence est d’un excellent niveau ; en ce qui concerne la mécanique, elle est
désastreuse. Alors, suis-je un génie ou une imbécile ? La réponse est : ni l’une ni l’autre. Je suis douée pour certaines choses et maladroite pour d’autre, ce qui est vrai de tout le
monde.
Tournons nous maintenant vers les origines de l’intelligence humaine et de l’intelligence artificielle. Le cerveau
humain se compose essentiellement de protéines et d’acides nucléiques. Il est l’aboutissement de plus de trois milliards d’années d’évolution hasardeuse, et son développement résulte de deux
facteurs : l’adaptation et la survie.
L’ordinateur, en revanche, se compose principalement de métal et d’électrons en mouvement. Il est l’aboutissement de quarante années de recherches et de mises au volonté humaine à satisfaire des
besoins précis.
Si l’intelligence humaine se décline en plusieurs variétés subtiles, et si elle est si différente de l’intelligence artificielle, de par ses origines, ses composants et sa raison d’être, on peut alors affirmer que ces deux intelligences vont évoluer de manière radicalement divergente. Même les ordinateurs les plus primaires démontrent d’extraordinaires talent dans certains domaines : ils possèdent une mémoire infaillible, d’une immense capacité, capable de leur fournir une information dans l’instant ; ils sont également capable d’effectuer d’innombrables opérations arithmétiques sans jamais se lasser ni se tromper. Si on limite l’intelligence à ce genre de talents, les ordinateurs sont déjà bien plus intelligents que nous ! C’est justement parce qu’ils nous surpassent de façon si éclatante que nous les utilisons un peu partout. Et s’ils venaient à tomber en panne tous en même temps, notre économie n’y résisterait pas.
Toutefois, l’intelligence ne se mesure pas seulement à ces aptitudes spécifiques. D’ailleurs, nous leur accordons si peu de valeur que, pour nous, un ordinateur, même ultra-rapide et ultra-sophistiqué, n’est rien d’autre qu’une vulgaire calculette.
En ce qui concerne l’intelligence la spécialité de l’homme consisterait plutôt à envisager les problèmes dans leur
ensemble, à développer des théories aussi sagaces qu’ingénieuses.
Pourrait-on programmer un ordinateur dans ce but ?
Vraisemblablement pas, pour la simple raison que nous ignorons nous-mêmes comment nous procédons. Il semble alors que
les ordinateurs soient voués à se perfectionner dans l’intelligence ponctuellement, tandis que les hommes, grâce aux progrès de la médecine et de la génétique se perfectionneront dans
l’intelligence globale. Chacune comporte ses avantages. Mais combinées de façon à ce que chacune pallie les faiblesses de l’autre, elles sont susceptibles d’évoluer bien plus vite qu’elles ne le
feraient séparément. Dans ces conditions, il ne serait plus question de rivalité, mais d’intelligences réunies, bien plus efficaces que les intelligences isolées par la nature
Eléna Tikhvinskaya.